Historique

Origine et débuts de l’enseigne

A Annecy, Marcel Fournier exploite un « grand » magasin issu de la transformation d’une mercerie fondée en 1822. Dès 1946, à l’occasion de voyages qu’il effectue aux Etats-Unis pour rendre visite à son frère, Marcel Fournier a pu observer le développement des « supermarkets », grandes surfaces implantées à la périphérie des villes. De retour en France, il s’associe à Louis Defforey, un commerçant de Lagnieu (dans l’Ain), pour créer une petite société de distribution alimentaire en libre-service. Les deux futurs fondateurs de Carrefour constatent la réussite d’Edouard Leclerc mais estiment pouvoir aller plus loin. Alors que ce dernier se contentait de vendre de l’épicerie dans des hangars mal aménagés, Fournier et Defforey conviennent de créer un supermarché à l’américaine, bien éclairé, coquet, donnant envie d’acheter, proposant des produits à prix « discount ».

Un premier supermarché ouvre à Annecy en 1959. “Au début, je voulais appeler ce magasin ‘Agora’, racontait peu après Marcel Fournier. Et puis après je me suis dit que les gens risquaient de croire que je vendais des chats”. Le bâtiment où doit s’installer la grande surface se situe, logiquement, au croisement de cinq rues, dans le quartier central du Parmelan : le nom “Carrefour” s’impose tout naturellement. Grâce à une campagne publicitaire efficace (des cadeaux sont promis aux premiers clients) et à l’implantation sur le parking d’un poste d’essence vendue à prix coûtant, le succès est rapide et un autre supermarché ouvre en avril 1963 dans les faubourgs de Cran-Gévrier, toujours à Annecy.

Expansion nationale

Fournier et Defforey souhaitent rapidement dupliquer ce concept gagnant à plus grande échelle. Le 15 juin 1963, Carrefour ouvre à Sainte-Geneviève-des-Bois dans l’Essonne son premier hypermarché (terme qui n’existe pas encore et qui sera inventé en 1966 par Jacques Pictet, fondateur de la revue Libre Services Actualités). Pour la première fois, ce magasin de 2500 m² propose sous un même toit et en libre-service, de l’alimentaire et du bazar, du textile et de l’électroménager… Plus de 5000 clients se précipitent dans le magasin dès le premier samedi.

Cette réussite incite donc naturellement Carrefour à se développer, notamment avec des magasins de plus en plus grands. En 1966, Carrefour s’implante à Vénissieux (dans la banlieue lyonnaise) sur 10000 m². Cette “usine à vendre” stupéfie l’opinion avec ses 2000 places de parking, ses 50 caisses, ses 20 000 produits, ses 2500 chariots et son ouverture en nocturne jusqu’à 22 heures. Afin de faciliter son expansion, Carrefour crée en 1967 sa propre centrale de référencement, la Samod (Société d’Achats Modernes). Le groupe est introduit en Bourse dès 1970.

Constatant la réussite de la formule Carrefour, des groupes de distribution concurrents décident d’ouvrir leurs propres hypermarchés en passant des accords de franchise avec le pionnier de la grande surface généraliste. En 1969, le groupe Docks du Nord-Mielle exploite son premier hypermarché Carrefour à Garges les Gonesse (ce groupe crée sa propre enseigne, Cora, en 1975). Même stratégie avec l’hypermarché de Mondeville (près de Caen) inauguré en 1970 par la famille Halley (Promodès) ; dès 1972, les hypermarchés gérés par Promodès prennent l’enseigne Continent.

Le début des années 1970 est également marqué par la course au gigantisme des surfaces de vente. En 1970, l’hypermarché de Vitrolles (près de Marseille), est inauguré sur 18000 m². En 1972, Carrefour implante sur 23000 m² à Portet-sur-Garonne (au sud de Toulouse), ce qui reste encore aujourd’hui le plus grand hypermarché de toute l’Europe.

Les années 1970 et 1980 sont marquées par une très forte progression des implantations de Carrefour dans la plupart des régions de France.
En 1991, le rachat des hypermarchés Montlaur et Euromarché permet au groupe de doubler le nombre de ses hypermarchés en France.

En 1997, Carrefour accroît son parc de magasins français (notamment d’hypermarchés) via l’OPA qu’il lance sur Promodès. Entre 1997 et 1999, Carrefour renoue avec le développement en franchise et fait passer sous sa propre enseigne les ex magasins Mammouth exploités par les groupes Comptoirs Modernes, Coop Atlantique, et Guyenne et Gascogne, ainsi que les ex magasins Continent exploités par le groupe rhône-alpin Hyparlo. En 1998, Carrefour acquiert les Comptoirs Modernes. Ces différentes opérations intervenues à la fin des années 1990 permettent au groupe d’être présent sur les créneaux du supermarché et de l’alimentation de proximité.

En 2005, Daniel Bernard, qui a donné à l’enseigne son second rang mondial, quitte ses fonctions, principalement parce que les hypermarchés en France ont perdu des parts de marchés face à leurs concurrents et au hard-discount d’une part, et d’autre part parce que l’action ne retrouve plus les niveaux élevés qu’elle avait atteint. Il est remplacé par Luc Vandevelde, appuyé par la famille Halley, qui avait été numéro deux à Promodès avant de devenir le patron de Marks & Spencer.

Expansion internationale

Après une première vague de développement infructueux en franchise dès 1969, où Carrefour s’implante en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie et en Suisse (avant de se retirer rapidement de ces différents pays même s’il s’est réimplanté depuis dans les deux derniers pays cités), le véritable ancrage de Carrefour à l’étranger est amorcé avec l’implantation en 1973 en Espagne d’hypermarchés portant l’enseigne Pryca, contraction de « Precios y calidad » ; depuis le rachat à Promodès en 1997 des hypermarchés espagnols « Continente », challenger de « Pryca », tous les hypermarchés espagnols de Carrefour ont repris l’enseigne « Carrefour » en 2000.
L’expansion internationale de Carrefour se poursuit ensuite en Amérique du Sud (implantation au Brésil en 1975 et en Argentine en 1982).
La conquête de nouveaux pays d’implantations de Carrefour à l’étranger reprend en 1989, avec les ouvertures d’hypermarchés à Taïwan, en Chine et aux Etats-Unis (pays dont Carrefour se retire dès 1993). Le rachat d’Euromarché permet à Carrefour de se développer au Portugal en 1991. En 1993, Carrefour reprend pied en Italie et ouvre son premier hypermarché turc. En 1994, Carrefour inaugure des hypermarchés au Mexique et en Malaisie. La présence du groupe en Asie se trouve renforcée avec des implantations dès 1995 à Hong Kong, en Corée et en Thaïlande dès 1996.
En 1997, Carrefour inaugure ses premiers hypermarchés en République tchèque, en Indonésie et au Chili. En 1998, Carrefour s’implante en Colombie. L’an 2000 est marqué par l’arrivée de Carrefour au Japon. Suite à la fusion avec Promodès intervenue en 1999, Carrefour renforce sa présence en Espagne (avec l’intégration des hypermarchés Continente) et s’implante en Belgique en 2001 (avec le passage sous enseigne Carrefour de 60 magasins Maxi GB). L’année 2002 est marquée par le retour de l’enseigne Carrefour en Suisse, via la reprise des magasins Jumbo en association avec le groupe Maus. Enfin, Carrefour développe aussi des implantations plus sporadiques via des partenariats et des franchises aux Emirats Arabes Unis, au Qatar, en Roumanie, en République Dominicaine, en Tunisie, en Egypte et dans les DOM-TOM.

Stratégie

Un leader mondial

L’omniprésence de Carrefour dans une grande partie des régions de la planète est bien révélatrice du rôle de pionnier que le groupe joue dans le développement du modèle de l’hypermarché. En effet, Carrefour constitue avec Leclerc l’une des enseignes les plus novatrices de la grande distribution alimentaire française.

Carrefour est la première enseigne française à vouloir offrir une alternative aux produits de grandes marques. En 1976, Carrefour jette « un pavé dans la mare » en lançant les produits libres, « sans nom [de marque], aussi bons mais moins chers ». La recette est simple : face au choc pétrolier, Carrefour se pose en défenseur du pouvoir d’achat des consommateurs en dépouillant une cinquantaine de denrées de première nécessité de toute marque et de tout packaging élaboré. Ces produits, qui sortent des usines des grands industriels, sont proposés à au prix plancher mais procurent néanmoins de belles marges commerciales. En 1985, Carrefour est la première enseigne d’hypermarché à signer ses produits, ajoutant ainsi à son statut de distributeur celui de marque. Carrefour entend montrer à ses clients “que le prix d’un produit est lié à sa composition, à ses ingrédients, et qu’il ne suffit pas de donner un nom à un produit pour qu’il soit bon ou sûr”. Aujourd’hui, la gamme Carrefour comporte près de 3000 références en alimentaire et en non-alimentaire, auxquelles s’ajoutent celles des autres marques développées par l’enseigne telles que notamment Tex (textile), First Line (électroménager), Carrefour Bio, Filière Qualité Carrefour, Reflets de France (gamme de produits du terroir héritée de Promodès), Destinations Saveurs, Escapades Gourmandes, et enfin dernièrement la marque « 1 » (« les numéros 1 des prix ») pour les premiers prix.

Carrefour propose un degré de centralisation particulièrement élevé, ce qui lui procure une identité particulièrement forte à l’intérieur de chaque pays d’implantation. Cette identité repose tout d’abord sur l’assortiment des magasins. En France, chaque point de vente Carrefour dispose d’une offre de produits relativement homogène, composée de 100 000 références en moyenne. En effet, une fois référencés chez Carrefour, une marque et ses produits se doivent d’être présents dans l’intégralité des hypermarchés de la chaîne ; la part d’autonomie laissée à chaque magasin en matière d’assortiment s’en retrouve d’autant plus réduite. Afin de faciliter ses approvisionnements, Carrefour s’est associée à Sears et Oracle pour créer en 2000 le premier marché mondial d’approvisionnement en ligne de la distribution : la plate-forme GlobalNetXchange.

L’homogénéité de l’image de Carrefour est également due à la forte ressemblance de chacun de ses hypermarchés en termes d’aménagement. Depuis 1997, la plupart des points de vente Carrefour sont progressivement réimplantés selon des logiques d’univers de consommation spécifiques, modèle imité depuis par plusieurs de ses concurrents. L’idée est de répartir l’offre de produits par univers de consommation, chacun d’entre eux proposant une théâtralisation poussée, notamment pour les rayons textile, culture, maison/arts de la table, ainsi que pour les rayons frais. Le dernier magasin Carrefour ouvert en France à Collégien, en Seine-et-Marne, propose une version revue et corrigée (plus anglo-saxonne) de ces espaces de consommation, agrémentée notamment par la présence de rayons alimentaires inédits tels que les stands proposant la vente de pâtes fraîches, de glaces ou encore de chocolats fins…

Le côté globalisateur et centralisateur de l’enseigne trouve également son illustration dans la déclinaison des nombreux concepts et services annexes proposés à ses clients dans l’enceinte même (ou bien dans les galeries marchandes) de ses hypermarchés. Carrefour partage avec Leclerc le statut de pionnier dans le développement de ce type de prestations. En 1982, Carrefour crée sa propre carte de paiement, la carte Pass. Cette logique de développement de services financiers est renforcée par le lancement, en 1984, des Assurances Carrefour. Vers la fin des années 1980, Carrefour suit les pas de Leclerc en créant ses propres stands de bijouterie Polygone Or. Cette stratégie d’extension de marque, également imitée par la plupart des enseignes d’hypermarchés concurrentes, connaît de nouvelles applications avec le développement des agences de voyages Vacances Carrefour à partir de 1991, ou encore des centres-autos Service Automobile Carrefour dès 1993 (revendus à Feu Vert fin 2002). En 1995 sont lancés les espaces de parapharmacie “Forme & Beauté”, ainsi que les espaces Carrefour Optique (cédés à Alain Afflelou en 2003). Plus récemment, Carrefour a investi le créneau de la billetterie via l’ouverture de stands Carrefour Spectacles.

Avec Carrefour, je positive !

Carrefour se distingue également d’autres distributeurs généralistes français par l’ampleur de sa notoriété, appuyée par une stratégie de communication particulièrement efficace. Le slogan « Avec Carrefour, je positive », lancé en 1988, est significatif de cette réputation. Depuis le début des années 2000, Carrefour articule sa communication autour du thème du “mieux-consommer”. Ainsi, la signature « Carrefour, parce qu’on se construit chaque jour » voit le jour en 1999.

En 2004, crise économique oblige, Carrefour souhaite renforcer son image de distributeur discount. En plus du développement de la communication autour de sa gamme de produits premier prix du système Ticket Cash Carrefour, l’enseigne lance un nouveau système de coupons de réduction, qui propose aux 5 millions de détenteurs de sa carte de fidélité Carrefour des rabais de 15 à 20 % sur des produits de grande consommation.

Carrefour a été également le premier distributeur alimentaire à entretenir une communication de proximité en développant son propre journal de marque, « Le Journal de Carrefour », dès 1980. Fort de cette réussite, Carrefour a édité deux autres journaux d’enseigne thématiques : les magazines « Junior Club » (hérité de Continent) pour les enfants et « Carrefour Savoirs » pour les produits culturels.

Diversification

La réussite de l’enseigne Carrefour amène progressivement le groupe à vouloir étendre sa sphère d’influence, tant dans la distribution spécialisée que dans la distribution généraliste alimentaire. Les premières diversifications de Carrefour interviennent dès la fin des années 1970.

Carrefour entreprend d’abord des diversifications concernant d’autres secteurs d’activité (en l’occurrence la distribution spécialisée) avant de se séparer peu à peu de la plupart d’entre elles au fur et à mesure de ses besoins en trésorerie dus au renforcement de son statut de distributeur généraliste. Parmi les différentes enseignes dont Carrefour a partiellement – et temporairement – pris le contrôle, on peut notamment citer Conforama (de 1977 à 1993), Metro (de 1978 à 2001), But (de 1989 à 1993) ou encore Picard Surgelés (de 1994 à 2001).

Carrefour a donc préféré privilégier son expertise de distributeur généraliste alimentaire sur des formats différents de magasins. En 1979, Carrefour lance la chaîne de hard discount Ed. En décembre 1996, Carrefour crée la surprise en rachetant 41,4 % des actions de Cora-Révillon mais se voit rapidement contraint de revendre cette participation (fin 2001), suite à la fusion avec Promodès.

Les rachats successifs intervenus depuis 1998, ont permis à Carrefour d’être désormais présent sur deux nouveaux formats de magasins, à savoir les supermarchés (Champion) et les points de ventes d’alimentation de proximité (Marché Plus, Shopi, 8 à Huit…). En 2000, Carrefour profite de la concentration dans le secteur de la distribution d’essence pour s’emparer de 17 stations d’autoroutes (ainsi que de certaines boutiques les accompagnant) pour y implanter son enseigne.

Les diversifications de Carrefour concernent aussi le domaine du commerce électronique. En 2000, Carrefour lance les cybermarchés Ooshop et Carrefour Multimédia. Le groupe prend également part dans le portail Webcity et dans le site Meubles.com. En outre, Carrefour connaît entre 2000 et 2002 d’autres expériences de commerce électronique qui se révèlent rapidement infructueuses, à l’instar de CarrefourDirect.com (boutiques virtuelles dont l’approvisionnement local était assuré par le prélèvement de la marchandise commandée dans les hypermarchés de Lomme près de Lille et d’Orléans) ou encore des sites spécialisés CarrefourBeauté, CarrefourJardins et CarrefourVins…